• Pister, une activité qui nous a fait évoluer

    Pister, une activité qui nous a fait évoluer

    Observatoireduloup.fr

    Une hypothèse sur la transition vers l’émergence des qualités du cerveau humain.

       L’hominidé, d'abord majoritairement frugivore et établi dans la forêt tropicale, est devenu, à l'occasion de migrations, un omnivore à dominante carnivore parcourant la savane. Lui qui avait développé des capacités à voir efficaces pour la cueillette a donc dû se mettre à chasser. Il n'était pas adapté. Les meilleurs chasseurs à pied sont en effet les animaux qui ont développé un odorat puissant : les grands félins, les loups. On note une exception pour les rapaces chez qui la capacité à voler, à voir de haut leur territoire et donc à voir loin,  permet la recherche de nourriture. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'ils ont acquis une vue exceptionnelle.

       L’hominidé lui, cloué au sol, a dû se débrouiller pour chasser "à vue" sans avoir un point de vue surplombant ni une acuité visuelle exceptionnelle . Ses proies courent plus vite, donc sont rarement visibles. Il utilisait une façon de chasser, appelée "chasse à l'endurance", qui consiste à poursuivre et fatiguer la proie (et son poursuivant), des heures durant, parfois une journée entière. Le succès dépend de la capacité à suivre les traces avec un coefficient d’erreur dans les prévisions (et donc de perte de temps) le plus bas possible pour parvenir à la retrouver quand, finalement, après des heures de fuite, paralysée par l’hyperthermie, elle s'immobilise*, permettant à son poursuivant de la rattraper. L'humain a donc développé au cours de son évolution une attention fine aux traces laissées par les autres animaux (empreintes de pas, déjections...), et conjointement une représentation de ce qui ne se voit pas pour les « suivre » en imagination et en déduire leur destination (pistage dit spéculatif) éventuelle. Ensuite, il devait confronter ces supputations à la réalité par un processus - devenu classique - d'essai/erreur/révision de l’hypothèse de départ puis nouvel essai... Cela demande une connaissance des us et coutumes de l'animal, le développement d’un raisonnement, la confrontation éventuelle avec d’autres avis émis par des congénères participant à la chasse.


        Certains chercheurs pensent que cette pratique de traque, pratiquée de nos jours comme pistage par les nouveaux naturalistes (ils suivent un animal sans le chasser ni l'acculer), a pu servir à développer les facultés dites intellectives de notre cerveau : focalisation de l'attention, intérêt passionné pour une recherche, lecture des signes, fabulation à partir de ces signes sur un scenario probable, vérification, joie non de l’obtention mais du désir, de l’élan vers… (la dopamine, hormone du plaisir, est générée chez l'animal par la quête, non par l’assouvissement). Il pourrait y avoir là à la fois les prémices du romanesque et celles de la démarche scientifique. Cette technique aurait aussi pu servir à développer nos capacités sociales : discussions sans fin sur les interprétations des traces, confrontation d’arguments ou de scénarios, puis décision collective d’aller vers… Bref, les débuts de l’agora !

       Conjointement, nos ancestralités animales, celles de divers mammifères, prédateurs comme nous l’avons été, sont présentes dans notre corps-esprit comme des capacités à entrer dans la peau d’un autre animal que nous, à appréhender le biotope d’un autre comme par ses yeux, par tous ses sens qui lisent d’autres traits saillants dans son environnement que ceux que nous avons sélectionnés dans notre propre évolution. Certaines capacités demeurent dans notre héritage, non actualisées pour l’heure mais comme des possibles susceptibles d’être réactivés, notamment par le pistage tel qu’il est actuellement pratiqué.

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    * L'animal humain ne risque pas l'hyperthermie : il n'a pas de poils. Ce "bipède sans poil" a acquis un avantage significatif en les perdant au cours de son histoire évolutive. La sueur permet en effet une régulation efficace de la chaleur interne que la fourrure empêche. 


    Ce texte est une reprise rapide de quelques aspects des évocations détaillées par Baptiste Morizot dans son ouvrage intitulé Sur la piste animale, Actes Sud, coll. Mondes Sauvages, 2018. La bibliographie de ce livre comporte les références aux textes écrits par les chercheurs à l'origine de ces hypothèses, dont Morizot.


     


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  • Commentaires

    1
    Mardi 9 Mars 2021 à 12:52

    Retrouver nos ancestralités animales,voilà qui donne de l'avenir.Une promesse de vie nouvelle.

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