• Cygnes et corbeau

    Cygnes et corbeau.

     

    Ce matin, les rives du Rhône étaient quasiment désertes.
    Trois cygnes groupés le long du mur gris qui délimite le cours d’eau sur le bord gauche décident d’un coup de se livrer à un ballet à trois corps et trois cous. Ils s’éloignent ensemble, dans le sens du courant, puis reviennent bouclant rapidement cette timide incursion. Mais non. Deux se détachent et remontent sans effort apparent en amont, rejoindre un autre groupe tandis que le troisième, allé en aval, ondule de tout son corps et pédale pour remonter le courant vers eux. Leurs queues sont animées d’un mouvement vif d’essuie-glace dont on ne sait s’il leur sert à secouer quelques gouttes importunes ou à manifester un bonheur de naviguant. Pourquoi ne voit-on que peu la tête du cygne ? Prolongement évident du cou, elle en paraît un appendice un rien hautain. Ni plus ni moins. Pourtant réside là sans doute une modalité particulière de saisie du milieu environnant, du fluide, du pont, des bordures et des accès aux quais, des congénères, des animaux humains susceptibles de jeter de la nourriture. Et surtout c’est là ce qui dirige la plongée dans l’épaisseur aquatique et fraîche, vers la vase, les vers… tout un monde glauque et courant. Des corps adaptés que nous voyons sans les voir, percevant simplement leurs présences gracieuses d’une blancheur altière sur le large fleuve comprimé par toutes les voies circulantes de cette zone névralgique de la métropole.

    Lundi, en revenant du même périple matinal à proximité immédiate du territoire des cygnes, j’ai rencontré un corbeau, dans un jardin public. Singulière rencontre. Juché sur une barrière de fer délimitant un massif, il m’observait approcher du coin de son œil torve. Je m’arrêtai très près sans qu’il daigne bouger. J’observai ses plumes raides et craquantes d’un noir lustré qui laissent voir un duvet blanchâtre par taches alors qu’il poursuit sa toilette de la pointe du bec. J’approche encore. Au lieu de fuir cette effraction de son périmètre, voilà qu’il soulève une aile et se dévisse la tête pour la placer en-dessous, position pour dormir ; ainsi ma présence ne l’importune plus ! Je me sens snobée. Je ne sais pas pourquoi j’ai interrompu ma promenade, je n’aime pas la brillante et cassante noirceur de ce volatile qui me fait à chaque fois irrésistiblement penser à l’ « aigle noir ». Je passe mon chemin, avec pourtant la sensation étrange d'avoir été exacte au rendez-vous, un camouflet, comme une mesure de rétorsion méritée qui, finalement, me met en joie.


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