• Whistler

    James Abbott McNeill Whistler. (1834-1903). Marine. Une écriture de ciel et d'eau.
    Photographie prise à l'occasion de l'exposition au Musée d'Orsay, 8 février-8 mai 2022.

    L’expression écrite est une façon de se répandre ou même de s’épandre, d’étaler ce qui sort de soi en une somme articulée de traits qui véhiculent les pérégrinations d’un moi en perpétuelle demande de reconnaissance.

    Écrire demande d’avoir plaisir à sortir des choses de soi et désir de les exposer.
    L’aventure du journal intime est différente en ce qu’elle ne s’expose justement pas, enfin dans sa vocation première. Elle est donc pure purgation, entreprise insensée de dégorger sa petite vie sur le papier. Afin de s’assurer peut-être que l’on vit vraiment ? Afin de trouver une preuve de la complexité d’une journée, de la multitude d’actes, d’intentions et de situations rencontrées, d’en redécouvrir (découvrir) la richesse qui n’a pas été ressentie sur le moment ?

    Ma pratique du journal est de celles-là. Je traque les méandres de ma journée comme un renard reniflerait les traces du passage d’une poule dodue. J’exténue le jour comme d’autres une rue, un quartier, une ambiance, une image. Ah, la quête de l’exhaustif, du complet, du fini ! Nous savons pourtant que rien ne l’est. N’empêche, à un certain moment, quand l’instant du récit rejoint celui de la vie, même si des linéaments se sont perdus dans les sables, oui, on sait que l’on a fait son devoir, accompli sa tâche de diariste. Jusqu’ici j’étais plutôt adepte de l’extrême inverse, une journaleuse parfaitement dilettante qui ne s’attèle à la tâche que quand une certaine urgence dans l’intérêt supposé du vécu l’y oblige, sautant ainsi des mois de vie laissés dans une jachère narrative.

    Alors, de quoi ce changement est-il le nom ? De la vieillesse qui veut se souvenir peut-être. Ma mémoire a toujours été liée à l’activité de la main suivie du recours à l’image de la page d’écriture. Cette fois – à la différence de la période des études - ce n’est pas dans l’intention d’une hypothétique relecture, loin de là, car relire me donne, littéralement, la nausée. Simplement une activité, une objectivation, consigner des faits pour qu’ils s’impriment dans mon cerveau comme sur le papier, en même temps. Un devenir papier du cerveau. Traces mnésiques et traces d’encre dans une même respiration.

    Conjointement, l’écriture moins égotique s’en ressent. Comme une période d’étiage s’est déclarée pour le reste de ma production. Comme si l’action d’écrire avait un seuil, si la somme des actes d’écriture trouvait une limite au quotidien. On ne se déverse pas impunément !


    votre commentaire
  • Ambiance

     

    Bruit de la vaisselle brassée, des cuillères rangées. Ça tintinnabule. Ambiance de café du Sud, à Lyon. Peu de conversations encore. Tous sont dehors. Seulement quelques commandes au comptoir. Son léger des pièces de monnaie de ceux qui paient et s’en vont.
    Soudain la machine à café rugit. P. organise paisiblement tasse et sous-tasse. Son beau visage las.
    J’aime l’espace et la propreté méticuleuse de ce café où nul n’est obséquieux. Le client n’est pas roi, juste considéré. La proximité du square le rend frais. Il résonne au rythme des styles très divers des clients, habillé de la présence à la fois tendre et brute des cafetiers.

    L’épisode Covid l’a marqué durablement. Pour mieux vivre, il a changé sa politique de café-café pour distribuer des en-cas le midi. Cela me rend un peu triste. C’est si vivant un débit de boisson de quartier qui ne cherche pas le client ni l’argent. Qui préfère cultiver le brin de conversation et le passage. Espérons qu’une chaîne de pubs ne le reluque pas trop.


    votre commentaire
  • Rue

     

    Pavés

     

    Rue

    Les deux pieds posés sur le goudron, un arbre planté devant et plus loin un poste électrique, porte ouverte. On ne voit pas de fils, seulement un bloc gris clair atone. D’ici, impossible de savoir ce que mes doigts toucheraient : le froid granuleux du métal ou la surface pauvre et glissante du plastique ?
    Derrière, la sarabande des véhicules à moteur. Pourquoi un jour a-t-on trouvé intéressant d’aller plus vite ?
    Percée du soleil du côté droit, entre œil et lunette. Il me chauffe le flanc et le visage. Fin d’hiver.
    Un artisan compte ses sous, le nez dans sa camionette, claque un battant, l’autre, ouvre une porte latérale coulissante, entre. Bruit de ferraille. Il revient, un outil à la main, puis sort son téléphone. Passage du réel à l’abstrait. Il s’échappe. Il n’est plus là. Tout à l’heure, levant la tête hors de la camionnette, il a vu que je le regardais. Maintenant rien ne le concerne plus de la rue.


    votre commentaire


  • Mémoire
    Maurice Merleau-Ponty


    Pourquoi appelle-t-on "mémoire" cet exercice, très scolaire souvent, qui aboutit à un texte plus ou moins indigeste sur un sujet rebattu ?

    Est-ce qu'au départ il fallait y faire oeuvre de remémoration ? Était-ce une sorte de compte-rendu d'une portion d'existence et d'histoire intellectuelle ? Je renonce tranquillement à chercher les sources, me contentant de mes spéculations personnelles sur le sens de cette activité somme toute aussi singulière que proche du dérisoire.

    Retracer un parcours mental inscrit dans le temps, voilà une noble raison d'être pour un texte. C'est la tournure que j'ai voulu donner à mon travail de fin d'études de yoga. Articuler concepts et vie, un travail de philosophe. LE travail du philosophe. Souvent si peu et si mal réalisé pourtant.
    Les phénoménologues s'y sont senti une vocation : rester au plus près du monde. Ils se sont emberlificotés dans leurs tentatives, rendant leur propos souvent pertinent largement incompréhensible au commun des mortels, à part de très rares exceptions qui tournent alors joyeusement au littéraire.

    Explorer la mémoire pour y trouver raisons, expose aussi toutefois à errer dans ses intimes dédales où point de départ et lieu d'arrivée ne sont pas si distincts qu'on le voudrait. On revient sur ses névroses, on réinvestit ses peurs, que l'on transforme (travestit ?) - parfois même efficacement - en idées.
    Poser des signes sur une surface peut aider à approcher ses failles autant qu'à les tenir en respect, certes. A trouver un point de vue, à éloigner l'affect, à libérer le souvenir de son cuisant lien avec le présent.

    Ce que tentent aussi de récentes techniques comme l'hypnose ou l'EMDR*. Désactiver le souvenir, le rendre anodin, pure image invocable, sans pesanteur ni pouvoir autonome de résurrection invasive. Et cela sans passer par le détour du récit infini et trop souvent maîtrisé que l'on délivre sur le divan. Un raccourci, en somme. Dans le cas de l'EMDR, on provoque des allers-retours des globes oculaires, d'un côté à l'autre, comme si on lisait, comme si on écrivait ! Encore faut-il être dans un rythme et faut-il que l'oeil intérieur soit actif, que toute l'énergie mentale ne soit pas papillonnante et dirigée vers l'extérieur. On peut alors retrouver le souvenir tout en l'éloignant. Embrasser l'extériorité pour en jouir ne dispense pas de l'introspection. L'intentionnalité doit être bi-directionnelle et l'action doublée. En cela, l'écriture d'un "mémoire" peut être efficace.

     

    * Eye movement desensitization and reprocessing.


    votre commentaire
  • Oeuvre peinte de C. Rigault

                            Oeuvre et choix de poèmes de Christian  Rigault. Merci de ce cadeau.

    9
    Sous un géant ciel ma maison naine au toit tombé, jadis soutien de ciel, aujourd'hui sombré dans la terre où il est confondu.
    (...)

    13
    De la mer se retirent les poissons emportant avec eux l'eau de la mer, le radeau, la détresse et le secours. Pleurez poissons, pleurez des larmes de sel sur les corps échoués.


    14
    Des herbes, toutes sous l'eau, verticales, parallèles aux bulles d'air qui montent, éclatent, s'ajoutent à l'air insane. Tant d'autres, mortes en terre inculte.

    15
    Il est un homme dans le mûrier qui ne dort pas. Son frêle tronc plie, ses branches se tordent. Il étouffe de la soie que tissent dans sa gorge les vers à soie.
    (...)

    29
    Une pelure d'orange par terre tandis que dans le ciel gronde le tonnerre d'un dieu si vieux qu'on le trouve, poli et usé, pierre parmi les pierres.


    votre commentaire
  • Enveloppe

    Cela fait un petit bout de temps que je n’ai pas écrit ici. Pas de régularité dans le processus. Cela vient par bouffées émergeant d’un lieu interne dégagé. Le temps des vacances, s’il est animé, rempli, ne convient pas. Les interstices sont parasités par des songeries – ou parfois des ressassements -  liées aux événements, aux « choses à faire », et aux personnes. J’absorbe leur situation, leurs questions. Je les envisage et fais varier le point de vue.
    C’est là un matériau qui doit passer par un silence pour réémerger ensuite dans un texte, tôt, tard… ou jamais. Décantation avant transformation et émission éventuelle.
    Rythme heurté, donc. J’assume.

    Idée pour ne rien rater : s’inscrire à la lettre d’info (ou newsletter) qui consiste seulement en un mail avec le lien pour arriver sur le nouveau billet. Le lien pour s’inscrire est plus bas dans la colonne de droite.

    Idée pour donner son avis (sur le rythme ou toute autre chose) : les commentaires ! Voir sous chaque billet.
     


    votre commentaire
  •  

    Je vous fiche mon billet...

    Il est d’usage de faire un petit blabla sur « le pourquoi du comment » ou, comme on dit dans la critique, un méta-texte.
    Alors ? Pourquoi écris-je ces petites (mais elles n’excluent pas d’être longues) bafouilles (mais elles n’excluent pas d’être de vrais textes : fiction, documentaire, tranches de réflexion construite) ?
    Autant dire que le genre n’est pas fixé, si genre il y a. En fait, il n’y a pas, si ce n’est précisément ce que dicte le medium du blog, ses exigences. Rester communicable, voire agréable pour un lecteur inconnu ou connu (plutôt connu dans un premier temps), tout en restant de l’ordre du désir et du plaisir pour le scripteur.

    Désir, plaisir, c’est ce qui m’amène. Aussi, souvent les billets parlent-ils de moi : plaisir le plus direct, même s’il y a des barrières mentales à la volupté de se dire. Plaisir le plus rapide à satisfaire. L’information sur le réel alentour, pour être objective, nécessite souvent un détour documentaire., un peu de boulot. Pfffff ! Ce n’est pas le plus jouissif dans l’immédiat. Mais j’ai confiance, cela devrait venir, avec le temps et une certaine lassitude de soi.

    L’écrit public à partir de soi, c’est jeter ce qu’on est devant soi, devant l’autre. Pas pour autant « se mettre en avant » par rapport aux autres ou « en jeter ». C’est plutôt un besoin pour lever la rétention, soulager ce qui est inhibé.
    Mon psy, me questionnait souvent : « est-ce que cela vous a étonnée ? ». Ah oui, se débarrasser du « je le savais », au moins un peu, et se surprendre. C’est cette folle entreprise que tente ce blog. Blog comme « barbare » à déchiffrer, comme « borgborygme » à prononcer dans un bégaiement, comme « glop-pas-glop » pour ceux qui connaissent. Être en avant de soi, et se surprendre. Jouer avec les mots, leur son, leur sens, leur souffle. Jouer avec les lettres.

    Étrangement, car je me considère comme pas bégueule (et j’ai bien l’impression que mes proches font de même), je suis particulièrement agacée par le parler actuel et ses tics. Trouver le bidule « qui va bien ». Horreur ! Qu’on en revienne au moins au latin du capitaine et que l’on choisisse ad hoc, ou tout simplement « pertinent » ou « qui convient » ou « efficace ». Et que dire du splendide « idoine » qu’il faut conseiller à tout un chacun de pratiquer pour le remettre en vie ?
    Pire, un vrai fléau au moment où je vous parle, le « coucou » omniprésent dans tout message et même dans les moments d’arrivée, le soir, à la maison : qu’on laisse tranquille un moment ce volatile usurpateur de nid !
    Et les systématiquement « belles » choses dans les souhaits : belle journée, belle année ; ou encore : « c’est une belle personne » dont on se gargarise. Qu’est-elle, cette personne non genrée ? Morale ? Correcte ? Bien élevée ? Sincère ? Un peu gourde ? Mon for intérieur (ma ford intérieure, comme disait une amie) se ratatine, se recroqueville, s’enfuit très loin et en même temps se hérisse : plus d’accueil, plus d’attention, black out pendant un instant. La répétition, la captation systématique de l’air du temps me sont peu supportables.
    Encore un exemple, « du coup ». Ah ! Ces deux mots, mis pour tant d’autres selon le contexte et le sens : par conséquent, et ensuite, ainsi, évidemment : mais ils sont encore là, ces mots, bon sang !
    Bref, j’aime les jolis mots employés à bon escient mais aussi les aventures de langue, les néologismes, l’abracadabrant et le supercalifragilisticsexpialidocious de Mary Poppins. Essayer de le faire dans un contexte presque public, en lâchant du lest sur la forme et les contenus m’amuse bien et pour le dire sincèrement, me soigne. En tout cas, ces billets sont des paris. Ça oui. Merci, donc.

     


    5 commentaires
  • Photo HB

    Jour pluvieux et veille de « rentrée », une belle occasion de tristesse.  Passée l’heure du café, se plonger dans un livre intelligent et sensible, voilà qui permet de la rater. Les auteurs de ce recueil d’articles*, sans presqu’aucune exception disent bien une réalité qu’ils connaissent. Ils l’analysent avec compétence et élan, un enthousiasme communicatif. Mieux, ils parviennent, sans illusionner, à convoyer ce que l’Inde appelle rasa, le goût, de l’Inde précisément. On est avec eux, on les accompagne dans leur cheminement intellectuel ou physique. Leurs voyages. Ce sont des passeurs.

    Depuis peu, je redécouvre la possibilité de la lecture attentive, attentionnée même, après des années de courses grapho-sémantiques sur le texte. Ça n’a pas été facile. L’œil est difficile à désincarcérer de son rythme effréné. L’orgueil de la compréhension immédiate est dur à tiédir. Une fois que la rééducation est bien engagée, on retrouve la magie de lire. Puis laisser le plaisir émerger !

    *Revue Corps Écrits, Rêver l’Inde, numéro 34, PUF, 1990.


    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique