• Trouver le bon objet Terre

     

     

    Trouver le bon objet Terre
    Incendie du massif des Maures. Image satellite.


    Les Yoga Sūtra distinguent plusieurs sortes d’objets. Il y a vastu, l’objet indifférent sur lequel nous ne projetons rien, celui que l’on ne « calcule » pas, celui qui fait arrière-plan flou, paysage global de notre activité. Il y a viṣaya, l’objet qui nous intéresse, que l’on peut désirer ou détester, en tout cas qui suscite, attire notre attention. Enfin, il y a artha, l’objet en soi digne d’intérêt pour nous, l’objet qui rentre dans le champ de notre rôle dans l’économie globale du monde ou dharma.

    Cette description des différentes qualités d’objets pour nous leur confère une capacité de suscitation, une affordance, comme on le dit maintenant. Je dirais même une sorte de température : froid, chaud, ni-chaud-ni-froid, en relation directe avec notre température (ou notre tempo) interne.

    Une récente lecture scientifique me semble en rapport avec cette vision de l’objet.
    L’auteur d’un article1 qui s’interroge sur l’unicité de notre planète, en lien avec l’apparition de la vie, met en exergue notre façon de nous pencher sur un objet. Ici la Terre elle-même, notre horizon d’humain. Il note que, pour échapper à l’erreur historique qui a été de considérer la Terre comme un objet central et unique dans l’univers puisque central et unique pour nous, pour ne pas paraître « chauvins », nous avons créé un autre biais dans la recherche : « s’il nous est difficile de nous rendre compte du fait que la Terre est particulière, c’est parce que l’essentiel de nos connaissances en géophysique et en climatologie a été acquis depuis ce monde spécifique. Notre compréhension de l’univers en est inévitablement biaisée (…). Nous avons ainsi cru, par exemple, que l’organisation de notre système solaire (planètes rocheuses près du soleil et gazeuses plus extérieures) était « le fait de processus universels et inévitables » alors qu’au contraire cette structure semble rare dans notre région de la galaxie où l’on trouve davantage de géantes gazeuses proches de leur étoile ». Un biais en remplace un autre. Revenons à la Terre.
    Il se peut donc aussi que notre configuration planétaire soit rare dans l’univers, voire extrêmement rare, ce qui pourrait entraîner que l’apparition de la vie le soit aussi.


    On échappe à un prisme, on tombe dans un autre. Les conditionnements sont multiples et différents selon les époques et transforment notre capacité à envisager la réalité. La Terre – et l’univers - resteront pour les humains qui s’en préoccupent un objet « chaud », un viṣaya que ses dimensions extrêmes ne réussissent pas à refroidir. Il est aussi un artha du dharma de tout humain, un maître-objet de sa capacité à exister qui paraît approprié à son devenir d’individu et d’espèce. C'est vrai pour le moment : tant que sa température issue de trop de projections, de trop d’appropriations, de trop de désirs et d’accaparements n’a pas trop surchauffé son statut d’objet chaud et ne l’a pas transmué en objet-fournaise, échappant au cycle constructif de la vie de l’homme pour en être un instrument destructeur.
    Là, il faudrait envisager un autre statut d’objet, non pas vraiment extérieur au Dharma général d’ailleurs, mais simplement inclus dans une logique où l’objet Terre disparaîtrait de la destinée proprement humaine pour persister seulement comme artha, objet adéquat, pour la vie en général, consacrant l’extranéation de l’espèce humaine, son rejet, le divorce radical d’avec son support, qui signerait peut-être sa disparition.
    Toutefois, on pourrait imaginer aussi, les catastrophes diverses aidant, que les hommes deviennent simplement rares et techniquement impuissants, donc non impactants, dépourvus de toute capacité d’action dans le cycle de l’objet Terre. Un vastu en somme, un objet négligeable, juste présent en fond de paysage pour le sujet Terre et ses vivants
    .

    1Notre planète est-elle unique ? Article de François Forget, planétologue, in La Recherche, n°564, l’origine du vivant, p.46-47.


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  • Commentaires

    1
    Patrick Go
    Mercredi 8 Septembre 2021 à 10:56

    Si l'on en croit Asimov, en l'an 10 000 de l'Empire galactique (le premier), c'est-à-dire dans plus ou moins 20 000 ans, l'humanité a complètement oublié la terre, qui ne subsiste pas même comme vastu, sinon à travers les mythes obscurs de populations infimes, perdues parmi les 25 millions de mondes de l'empire.

    2
    Alacrite
    Mercredi 8 Septembre 2021 à 21:11

    Merci de ta mise en perspective. L'échelle de temps y est en effet pour beaucoup... et le statut de fiction change la donne !
    Je ne me souviens plus si la Terre avait pour Asimov le statut de berceau de l'humanité, quand même ? Au moins un objet un peu tiède du style chora platonicienne ?
    Autre vision, moins optimiste quant aux possibilités d'essaimer, celle de Kim Stanley Robinson dans Aurora. Après nous avoir régalés d'ouvrages optimistes (ou presque) à la Asimov avec la série des Mars (chefs d'oeuvre, à mon avis), il a choisi de décrire un échec. Et cela m'a l'air bien documenté ! 

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