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    Un constat. L’autre n’est pas là, tout proche. Son corps est ailleurs, ses pensées aussi, sans doute. Le sentiment de perte que je ressens n’est pas épuisable par l’absence. Il vient d’ailleurs. Je n’ai rien perdu, si ce n’est, pour le moment, une présence. Cette expérience si fondamentale et si indicible.
    Ce qui manque c’est une manière d’être au monde particulière qui m’est familière et conforte la mienne. Une présence qui exhausse ma capacité d’être vivante.
    On peut penser que cela vient d’une déficience de celle-ci. Peut-être/sans doute ? Le manque, le creux, n’est-il pourtant pas inscrit dans notre être ?
    Simplement, la sensation aiguisée de cela.
    Trouver l’envie de ne pas rejeter l’expérience et de ne pas renoncer à ma manière. Penser le manque comme creuset du lien, de sa construction par l’expression (écrite ?). Départ d'une rêverie à tous les absents, dans leur présence si particulière.


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  • Photo HB

    Jour pluvieux et veille de « rentrée », une belle occasion de tristesse.  Passée l’heure du café, se plonger dans un livre intelligent et sensible, voilà qui permet de la rater. Les auteurs de ce recueil d’articles*, sans presqu’aucune exception disent bien une réalité qu’ils connaissent. Ils l’analysent avec compétence et élan, un enthousiasme communicatif. Mieux, ils parviennent, sans illusionner, à convoyer ce que l’Inde appelle rasa, le goût, de l’Inde précisément. On est avec eux, on les accompagne dans leur cheminement intellectuel ou physique. Leurs voyages. Ce sont des passeurs.

    Depuis peu, je redécouvre la possibilité de la lecture attentive, attentionnée même, après des années de courses grapho-sémantiques sur le texte. Ça n’a pas été facile. L’œil est difficile à désincarcérer de son rythme effréné. L’orgueil de la compréhension immédiate est dur à tiédir. Une fois que la rééducation est bien engagée, on retrouve la magie de lire. Puis laisser le plaisir émerger !

    *Revue Corps Écrits, Rêver l’Inde, numéro 34, PUF, 1990.


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  • Dessin de Claude Nicolas Ledoux pour la saline d'Arc-et-Senans

    Gravure du théâtre de Besançon 
    Claude-Nicolas Ledoux

    Nous sommes environnés de fenêtres. Celles de chez nous, celles de chez les autres que l’on voit par celles de chez nous. Il y a aussi des voiles, des rideaux.
    Et au travers du verre de chez nous puis du verre de chez eux, on voit les gens, les autres. Une image du quotidien de ces autres nous qui ne livre rien de ce qu’ils sont. Ou si peu. Cette frustration cherche extinction : une envie d’achat de jumelles. Pour voir mieux, voir plus. Mais savoir, connaître ? Non. Reste à acquiescer à cette impossibilité.

    Pendant plusieurs années, j’ai observé un vieux monsieur chauve dans sa cuisine. Il n’est plus là. Tristesse d’un départ subi ou départ volontaire pour un autre lieu, d’autres fenêtres ? Je me souviens, cette fenêtre aimantait mon regard, le soir, quand on voit mieux. Puis, je me suis rappelée que dans la maison familiale, par les vitres de la fenêtre de la cuisine, nous voyions, juste au-dessus des tuyas, dans l’imposante maison construite par un entrepreneur en maçonnerie que nous n’avions pas choisi pour construire la nôtre, des mouvements de vie indistincts que ma mère scrutait et commentait souvent. Je regardais aussi, sans véritable intérêt, jugeant futiles et dérangeantes ses enquêtes.
     
    A Milan, une maison-musée, la Villa Necchi-Campiglio, m’a fascinée, mais pas à cause des œuvres exposées ni de son architecture, remarquables. Non, j’ai été aspirée par les fenêtres doubles de la plus belle salle du rez-de-chaussée. Deux fois des fenêtres. Pour voir deux fois, pour cacher deux fois plus ? Parce que, sans voisins, environnés d’un parc, on manque de fenêtres à interroger ? Surtout, pour abriter la vie, entre les deux. L’espace était assez grand pour y poser des pots, permettre à des plantes appréciant un milieu très lumineux et sec de grandir. Dans mon souvenir, il s’agissait de fenêtres à guillotine et avec des carreaux. Je rêvais de les ouvrir pour tâter les plantes. Voir comment elles pouvaient  se sentir « en sandwich », entre les transparences combinées des deux panneaux. Impossible d’ouvrir et impossible à savoir. Les plantes ne nous parlent pas comme on voudrait.
     
    Connaissance par l’œil ?

     

    Note : Ledoux, le rôle de l'oeil


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    Objets inanimés

     

    Objets inanimés, avez-vous donc une âme / Qui s’attache à notre âme et la force d’aimer ?

    Lamartine. Milly ou la terre natale.

    Je suis très attachée à une tasse jaune, celle de mon café du matin.
    Elle représente d’abord le don affectueux d’une amie chère.
    C’est un réceptacle de chaleur pour réchauffer les mains après les activités matinales et aussi un support de jouissance gustative. Car le café, lui, fuit, se remplace par un autre, chaque matin. Aucune stabilité, là. La tasse, elle, reste.
    Elle est le seuil d’un moment heureux de méditation.
    Elle évoque la sensation auditive de la cuillère qui permet au sucre de se dissoudre dans un doux tintement sur ses bords. Lieu de métamorphose.
     
    La connaissance nous dit que l’inanimé est toujours une erreur de vision. Effet d’échelle. Chaque chose, chaque chose posée ou jetée devant nous, ob-jet, fourmille de mouvements. L’écologie devrait englober les objets. L’objet est coagulé, on peut compter sur lui, on pourrait le penser éternel si rien ne lui arrive, mais il bruisse de jeu interne. Comme nous.
     
    Mon père aimait la citation de Lamartine qui nous ramène aux lieux d’enfance, au foyer, à la maison. Lamartine est né à Mâcon. Tout près. Sans doute que ce lien aux objets est un lien à l’enfance. Et si cette année 2021 renouvelait un lien à l’enfance, aux objets, au biologique, au minéral, à tout ce qui fourmille, manifeste ou enfoui, stable ou évanescent ?


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  • On est nu

     

     Ah cette plaie, l’hiver ! Cet amoncellement de vêtements à endosser, à enfiler vaille que vaille, l’un après l’autre, l’un frottant sur l’autre, l’autre résistant sous l’un. Je me souviens de ces jours lointains où je devais porter le sous-pull que ma mère avait décidé que je devais porter, la jupe que l’école avait décidé que je devais porter, les collants qui collent, comme leur nom l’indique, et désagréablement. Ils descendent, en plus, bâillant entre les cuisses, ils empêchent de pisser vite fait, alors que la copine attend à la porte des toilettes. Une gêne. Gênée. Irréductiblement gênée, j’étais.

    J’ai découvert il y a peu cette non moins irréductible vérité : on est nu.e sous son vêtement, même s’il y en dix qui s’empilent et se contrarient. Cette vérité a été libératrice. Mon corps a commencé à respirer en-dessous. Le naturisme, la marche pieds nus, ont commencé à prendre sens.
    Même si les vêtements que l’on choisit ne sont pas ceux que la société trouverait bien que l’on porte, s’ils ne sont pas beaux, féminins (ou masculins), on ressent une nécessité à les porter parce qu’ils épousent la liberté du corps nu, dessous.
    Pierre d’achoppement d’un moment de l’analyse, cette constatation devenue affirmation. Devant le guide aimé, une pierre posée dans le courant de nos paroles croisées, bien arrimée, lestée. Corps (nu) déposé sur le divan, psychisme dé-voilé à lui-même qui peut alors advenir dans la parole utilisée comme une revendication.

     

    Retrouvé, from scratch, un désir d’élégance.


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  • La Ville, comme on se la figure ?

    Journalisme situé

     

    Ce matin un journaliste énonçait à la radio sa façon de faire ses « articles ». C’est un journaliste né à la campagne. Pour lui, au départ, la ville c’est davantage un bloc indifférencié que des zones ou des quartiers. Il pense important d’énoncer sa situation (naissance, parcours, affinités…) aux personnes qu’il interroge et aux personnes qui verront ou liront ou entendront le reportage. Par exemple, les gens de la banlieue de Dunkerque doivent savoir que c’est un gars de la campagne qui fait des choix en lien avec son histoire et qui voit la « banlieue » de façon prismée et globale comme « la ville ». C’est aussi quelqu’un qui n’a jamais habité en HLM et qui interroge des personnes qui eux sont des locataires de HLM. Quelqu’un qui va retirer – un peu – d’argent de cette activité d’enregistrement et de montage de témoignages dont les sujets, eux, ne retireront pas d’argent.

    Enoncer ses déterminations, les montrer, c’est aussi, pour lui, sans doute, en prendre conscience, au sens de les incorporer, les transformer en éléments d’action.
    On appelle ça énoncer les biais. Le terme est repris des méthodes des anthropologues qui « font un terrain ».
    C’est enfin, un journaliste de radio qui va finir par faire un livre et qui éprouve la frustration de ne pouvoir rendre les accents, les rythmes, le son, tout ce qui fait l’irréductible identité de la parole d’un individu et qui dit, autant que faire se peut, ce qu’il est. Irrémédiable déficience de l’écrit face à la parole.
    Le livre vient aussi, et en même temps, réparer la frustration pour le reporter de ne pas avoir servi, par les infos recueillies, la réalisation du projet de rénovation du quartier, finalement annulé (ou simplement reporté ?). Ce pour quoi il était rémunéré, son boulot, quoi. Compenser une inutilité concrète par un objet imparfait mais réel et honnête, qui illustre et promeut un type de journalisme assez nouveau en France.

     


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  • Un camarade, ancien collègue de travail, a retrouvé Jésus. Chrétien libanais longtemps mué en gauchiste militant et agissant, créant, secourant toute personne désemparée s'adressant à lui, il en est revenu.
    Exorcisé par le prêtre ad hoc du diocèse, le voilà militant du "vrai dieu" et de l'amour, partisan enthousiaste de François, pape (et papa).
    Il a repris ses activités secourables et trouvé un emploi peu rémunéré mais stable.
    La lumière a dissous toutes ses douleurs physiques et lui a fait digérer les traumatismes de son histoire, chassé les forces mauvaises qui l'avaient envahi, le diable. Il en parle beaucoup, longtemps à mon oreille, dans une logorrhée persuadée et qui se veut persuasive.
    J'écoute, saisie et pourtant peu surprise. Comme il me le fait remarquer, je lui ai un jour dit qu'il me faisait penser à un prêtre ouvrier. L'ai-je percé à jour ou bien influencé ?

    Peu avant cet appel, je corrigeais un texte didactique sur les mantra. Surprise par un alinéa qui me semblait créer un lien d'assimilation entre religion et superstition, je notai en marge ce recul. A un autre endroit, je remarquai une propension de l'auteure à conclure de la "distribution" actuelle des mantra,  à une perte de leur efficacité. Promotion de l'ésotérisme ? Là encore, je posai la question en marge. Il me semble que nulle perte d'efficacité ne peut affecter un mantra, seul un non-respect de ses conditions de don ou d'énonciation en affectent la réception. Le mantra lui-même est hors jeu. Sa diffusion aussi. La question de l'argent en jeu est une autre question. Je ne suis pas contre l'ésotérisme, simplement l'enjeu n'en est sans doute pas celui-ci. La transmission certes nécessite des conditions mais la raréfier ne génère pas de l'efficacité mécaniquement.

    Deux moments de ma vie d'hier : et l'efficacité des paroles de l'exorcisme ? L'ami a répondu à la question du "comment ça s'est passé" que c'était bien loin du film de Friedkin mais consistait surtout en prières. L'efficacité du mot, du son, du contenu. L'immesurable. Comme l'intervention allusive et douce de l'analyste en cours de séance. L'influence, ce concept qui a mauvaise presse et que François Jullien réhabilite, puisant dans l'univers généré par la langue chinoise.

    Belle coïncidence et convergence de moments. Je ne l'avais pas perçue. Il y a fallu un mot de mon compagnon.


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  • Alacrité, c'est vigueur du corps, vivacité d'esprit et bonne humeur. C'est un souhait plus qu'un état, quoique...
    L'arbre, lui, sommeille. Il attend son heure. Il me fait penser à une vieille sorcière qui étend ses bras tentacules pour saisir le passant et lui raconter...quoi ? Ce que c'est que d'être un arbre, l'hiver ? Ce que ça fait d'être dans un Parc ?
    A priori l'alacrité ne le concerne pas mais c'est sans doute une erreur humaine, trop humaine. Non ?

     

     

    Le premier


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