• Escargot




       N’avez- vous jamais éprouvé ce sentiment, diffus qui, au moment même où, vraiment, rien de net ne s’annonce comme inquiétant et où vous en prenez conscience l’espace d’un instant, vous fait douter de cela précisément et tellement douter que peu à peu cette suspension du jugement devient, pas à pas, imperceptiblement, certitude de l’inverse ?
    Comme si un signal mystérieux disait à votre esprit « danger » au moment précis où il pourrait se relâcher, être tranquille, et même, osons le mot, heureux. Un repli. Comme un escargot rencontrant un objet, rétracte instantanément son  désir d’avancer, son oeil-tentacule.

        Je suis dans une situation où j’avance, où ça baigne, où le réel semble s’aligner sur mes intentions et… non. Il ne s’agit même pas de réflexion, d’un « c’est trop beau pour être vrai ». C’est plutôt une sorte d’acte réflexe mental. Mais préparé par une histoire. Une façon de se recroqueviller sur sa petite tradition personnelle habituée au malheur, à l’anxiété, à la douleur. Une résistance… inconsciente ?

       Le yoga appelle sadhana la pratique régulière d’une stratégie pour développer la conscience, la clairvoyance, et éloigner la souffrance (la psychanalyse l'appelle cure) ; alors ce réflexe conditionné peut apparaître et plus il apparaît, plus il a de chances de réapparaître à l’occasion du déclenchement suivant. Jusqu’à ce que la conscience s’en empare, en fasse le tour, l’absorbe. Il sera peu à peu moins actif. Il se déclenchera moins souvent, une fois sous les feux de la rampe. Car dorénavant, l’on a conscience qu’y céder c’est un peu s’y adonner. Que le masochisme n’est pas loin. La volonté permet alors de s’éloigner de ce sillon pour commencer à en tracer un autre, à distance de la fatalité du malheur.


     


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  • Rue

     

    Pavés

     

    Rue

    Les deux pieds posés sur le goudron, un arbre planté devant et plus loin un poste électrique, porte ouverte. On ne voit pas de fils, seulement un bloc gris clair atone. D’ici, impossible de savoir ce que mes doigts toucheraient : le froid granuleux du métal ou la surface pauvre et glissante du plastique ?
    Derrière, la sarabande des véhicules à moteur. Pourquoi un jour a-t-on trouvé intéressant d’aller plus vite ?
    Percée du soleil du côté droit, entre œil et lunette. Il me chauffe le flanc et le visage. Fin d’hiver.
    Un artisan compte ses sous, le nez dans sa camionette, claque un battant, l’autre, ouvre une porte latérale coulissante, entre. Bruit de ferraille. Il revient, un outil à la main, puis sort son téléphone. Passage du réel à l’abstrait. Il s’échappe. Il n’est plus là. Tout à l’heure, levant la tête hors de la camionnette, il a vu que je le regardais. Maintenant rien ne le concerne plus de la rue.


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  • Mars

                                                                                     Mars

    Il y a quelque chose de fade dans le mois de mars malgré ses rodomontades venteuses.
    La fraîche timidité des feuilles nouvelles croise certaines vieilles peaux, conglomérats informes tout au bout des branches en revie. Neuf et ancien, cohabitant pour un temps, s’annulent.
    Laissant place à un espace sans tonalité, bouillonnant à vide, balayé par un vent sec et tenace ou timidement mouillé, c’est selon.
    Les brins d’herbe balancés et froissés subissent l’ambiance.
    C’est l’attente du grand été. La gloire du glissement et du crissement des saisons intermédiaires.
    Quelle transformation mijote dans le chaudron tiède de la fadeur du mois de mars ? Les taches mouvantes d’ombre et de lumière jouent à nous faire peur, elles nous rattachent au mystère du temps.


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  • Arbre




    La distribution aléatoire des feuilles séchées et brunies sur les ramures hivernales. La présence des entrelacs sphériques de gui. Pourquoi là ?

    La fragile légèreté des nids. Pourquoi leurs locataires et bâtisseurs ne tentent-ils pas de les établir sur les coussins de gui ?

    Transparence des ramures sur fond de ciel, sur fond des doux monts des Puy. Volets de bois tricotés des branches mortes de la vigne vierge.
    Comment s’établir dans ce grand vent ? L’oiseau seul le sait.

    Je fais des gammes, toujours.

    J’ai le privilège immense de prendre le pouls du monde sans être contrainte de (me) battre avec lui.
     
                                                                            *

    Un compagnon-poète me prête ses mots pour ici. Ils consonnent naturellement.

    Dans des branchages entremêlés, indémêlables touffes de cheveux, broussaille bruissant des chants des oiseaux aux gorges safran ou orpiment, des chevaux ailés finissant leurs courses dans des boucles de ciel et de branches.

    Christian Rigault. Extrait de "En-tête, neuvième"

     


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  • Malevitch Carré blanc sur fond blanc

    Malevitch. Carré blanc sur fond blanc.



    Les premiers moments, ceux de l’arrivée dans un lieu que nos pieds foulent pour la toute première fois, sont magiques. Toutes les surfaces s’offrent au regard sans usage prédéterminé – ou si peu. Elles se présentent aussi dans la surprise de leur esthétique. D’entrée de jeu, c’est un ensemble surfaces/couleurs/espaces.

    Ce tapis rouge, ces tables basses sans pied, j’aime ou j’aime pas ? Pendant un temps très court je ‘ni-n’aime-ni-n’aime-pas’, je découvre. Mon pied tâte le sol, du faux plancher qui glisse, et là, ça commence, « j’aime pas ». Se met en branle alors peu à peu l’arraisonnement par le jugement : beau/laid, utile/inutile, et à quoi ça sert ? Là, je vais caser la valise, dans cet endoit où elle ne gênera pas le passage et sera un peu cachée. Ce petit meuble pour débarrasser mon sac à main et mes poches.
    Que vient f… cette statuette à cet endroit incongru alors qu’il manque de la place ? Tiens, je vais m’en servir pour accrocher mon masque. On en devient créatif, on extrapole des possibles, on décode des affordances, des façons parfois surprenantes qu’ont les objets de se prêter à l’action humaine. Alors ce n’est plus de l’arraisonnement mais plutôt une forme d’apprivoisement de ce chez soi provisoire, qui crée une forme de l’habiter plus légère. On ne cherche plus seulement le fonctionnel mais aussi de l’original. Cette lampe comme séchoir à serviette… le robinet du radiateur pour suspendre mon chapeau.
    Ce style d’investissement d’un lieu qui décoiffe nos habitudes et dérange nos routines est une invitation périodique à nous réinventer. Il émerge avec un changement d’environnement. La vie nous défie d’habiter dans la durée cette forme légère d’apprivoisement des lieux et des choses. Une présence à l’environnement qui ne viserait pas à en tirer le meilleur parti mais à collaborer agréablement avec ses possibles.
    Une "manière", un style d’attention à l’être.


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    Partir ou rester ?

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     


    Un grand débat intérieur et interne à mon couple : est-il souhaitable de déménager dans notre ville ou à l’extérieur, maintenant ou au moment de la retraite ?
    Une multitude d’arguments se combattent, plus ou moins réalistes, plus ou moins affectifs.
    Pour l’heure, ma priorité absolue, ma première raison de vivre, outre ma relation amoureuse, ce sont les amitiés et – plus large que cela – les relations humaines. Notre ville est bien celle qui en est la plus riche ; elle héberge les trois quart de nos amis, nos relations proches et nos relations de circonstance, par définition.
    On ne se refait pas des amis de 40 ans. Partir c’est défaire des liens, c’est quitter des personnes, même si les moyens de communication…Bla…Bla. Défaire c’est rouvrir du possible, s’ouvrir au non-encore-connu, à une période où les occasions de rencontre ont tendance à se raréfier. C’est faire confiance à soi et à sa vie, refuser de se cantonner à l’aspect rituel et coutûmier des relations existantes. Prendre le risque aussi de redéfinir son univers de sécurité amicale. Resteraient celles et ceux qui suivraient ce décalage, retissant un lien de dimension et texture différentes.
    J’ai vu la vie de mes parents se ratatiner autour du connu et de l’ancien, aller jusqu’à fétichiser l’aura d’un lien brisé, pauvre totem qui rendit stériles leurs capacités amicales. Ils s’entêtaient à ressasser une fin devenue sans fin, d’une nocivité telle qu’elle suturait par avance toute distension prometteuse apparue dans le tissu conjonctif déjà enraidi de leurs existences.
    Comment trouver dans cette triste histoire un support digne de porter l’aventure d’un (re)commencement ? La lucidité n’impose-t-elle pas dès lors de cultiver la chaleur réconfortante des liens éprouvés par la durée ? Sans oublier mon tempérament inaltérablement fidèle qui m’y porte infailliblement.
    On peut imaginer rejoindre d’autres pôles de notre géographie amicale, trouvant une sorte de voie du milieu qui, renouvelant, conserverait aussi.
    Ces questions dessinent une ligne de force. Elles n’en excluent toutefois pas d’autres, bien plus pragmatiques : présence de commerces et de divertissements culturels à portée de pas, possibilité de recevoir rapidement des soins médicaux, entraide locale. Prudence et circonspection « à notre âge » !

    Et que dit mon désir ? Un vrai cœur d’artichaut, une girouette de la pire espèce !

     

     


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    Une seule Terre ?

                       Vincent Courtois, collage, 2021.



    Que pensent les scientifiques de notre monde : est-il exceptionnel ? La Terre est-elle à ce point singulière dans ses caractéristiques que la probabilité de découvrir une autre planète « semblable », une autre planète capable elle aussi d’avoir donné naissance à une forme de vie serait infime ?

     
    1995, découverte de la première planète située hors du système solaire. Dans les années qui suivent et jusqu’à tout dernièrement, les chercheurs ont fait des milliers de découvertes du même type. Ils estiment que la plupart des étoiles de notre galaxie sont entourées de planètes, et même de planètes rocheuses, comme la Terre. Or il faut savoir que notre galaxie comporte des milliards d’étoiles et l’univers des milliards de galaxies ! Nous avons donc affaire à des milliards de milliards de planètes rocheuses du type de la Terre. On peut dès lors penser raisonnablement qu’il y a des chances de trouver des planètes semblables – et de la vie extraterrestre ! Cela continue à confirmer que les anciens faisaient une erreur fondamentale en plaçant notre petit globe au centre de l’univers.


    Cependant, nous sommes peut-être de nos jours plutôt victimes d’une autre illusion : nous projetons nos catégories d’être vivant conscient issu de la biochimie et de la physique particulières qui sont celles de la Terre sur les potentielles « autres Terres ». Nous ne voyons plus l’exceptionnalité des conditions qui ont évolué jusqu’à permettre l’apparition d’homo sapiens parce que nous en sommes précisément le produit et que nous avons grandi entourés de vie, d’animaux conscients et que nous avons appris la biologie qui a cours sur cette planète. Tout cela, l’habitude nous le rend transparent et nous le postulons donc spontanément comme d’éventuelles caractéristiques à retrouver ailleurs dans l’univers, sur les globes qui ressemblent au nôtre.

    Les planétologues qui étudient la Terre de tout près font des découvertes qui soulignent plutôt son caractère extra-ordinaire dans la foule des planètes possibles.
     
    Alors que l’on croyait que l’architecture du système solaire (des orbites circulaires, des planètes rocheuses plutôt près du soleil, des planètes gazeuses plutôt éloignées du soleil) était celle de toutes les galaxies, les observations récentes montrent à l’inverse que cette structure est plutôt rare ailleurs, en tout cas dans notre « région » de la Voie Lactée. Les planètes gazeuses géantes y sont plutôt proches de leur étoile, par exemple.

    Par ailleurs, nous savons que la vie s’est développée – et nous ne savons pas trop l’imaginer autrement – grâce à des réactions chimiques entre l’eau chaude liquide et le carbone. Or notre planète est l’une des rares de celles que connaissent les scientifiques à être caractérisée par la présence quasi-ininterrompue d’eau liquide à sa surface depuis sa naissance (plus de 4 milliards d’années, durée nécessaire à l’apparition des premières formes de vie).
    Des modélisations récentes montrent de plus qu’une variation de 5% seulement de la distance de la Terre par rapport au soleil suffit soit à vaporiser l’eau soit à la transformer en glace, définitivement. La Terre est donc juste à la « bonne » distance du Soleil pour porter la vie telle que nous la connaissons.

    Plus encore, la Terre bénéficie d’une sorte de thermostat avec la tectonique des plaques qui produit l’activité volcanique. Les volcans régénèrent le CO2 qui disparaît régulièrement, lessivé par les eaux terrestres (pluie, cours d’eau). Le CO2 permet de créer l’effet de serre, qui nous sauve du froid  de l’univers*. Sans cela, les périodes glaciaires se seraient éternisées. Ce thermostat n’existe pas sur les autres planètes du système solaire. Peut-être à l’extérieur ?

    La présence d’un grosse lune qui stabilise l’orbite terrestre, son inclinaison et donc le climat est aussi un atout peu partagé. On peut ajouter à cela l’existence d’un champ magnétique fort - assuré par le noyau métallique en fusion du centre de la Terre - qui nous protège des radiations qui viennent de l'espace.

    Pour conclure, la Terre paraît donc bénéficier d’une concordance rare d’éléments qui l’ont rendue hospitalière pour le développement de la vie telle que nous la connaissons et sommes capables jusqu’à aujourd’hui de l’imaginer.
    « Pour l’instant, nous pouvons juste nous interrroger sur la somme improbable de coïncidences apparemment requises pour créer sur Terre un environnement favorable à la vie. L’enquête continue » écrit François Forget dans un article dont ce texte est librement mais énormément inspiré **.

    En tout cas, ce n’est pas demain que l’espèce humaine rencontrera sur sa route une telle conjonction : protégeons-la !

    Je m'aperçois à l'instant que, frappée par le message de cet article de François Forget, j'ai déjà rédigé un billet qui en rend compte partiellement, intitulé "Le bon objet Terre", mais avec le prisme d'une lecture informée par le yoga. Je ne retire pas celui-ci. Le sujet mérite bien un peu d'insistance ! Il témoigne de mes préoccupations, de la défaillance de la mémoire (objet du précédent billet, "Mémoire"), des limites humaines... et du travail d'écriture qui sans répit réinvente son sujet. Je suis en plus très heureuse de présenter le travail de collage de Vincent à l'occasion de cette publication.


    *C’est ce mécanisme qui est déréglé actuellement, le CO2 étant trop abondant et générant un effet de serre trop important, donc un réchauffement. Je simplifie !


    **Notre planète est-elle vraiment unique ? Article de François Forget dans La Recherche, février/avril 2021, p. 46-47.


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  • Mémoire
    Maurice Merleau-Ponty


    Pourquoi appelle-t-on "mémoire" cet exercice, très scolaire souvent, qui aboutit à un texte plus ou moins indigeste sur un sujet rebattu ?

    Est-ce qu'au départ il fallait y faire oeuvre de remémoration ? Était-ce une sorte de compte-rendu d'une portion d'existence et d'histoire intellectuelle ? Je renonce tranquillement à chercher les sources, me contentant de mes spéculations personnelles sur le sens de cette activité somme toute aussi singulière que proche du dérisoire.

    Retracer un parcours mental inscrit dans le temps, voilà une noble raison d'être pour un texte. C'est la tournure que j'ai voulu donner à mon travail de fin d'études de yoga. Articuler concepts et vie, un travail de philosophe. LE travail du philosophe. Souvent si peu et si mal réalisé pourtant.
    Les phénoménologues s'y sont senti une vocation : rester au plus près du monde. Ils se sont emberlificotés dans leurs tentatives, rendant leur propos souvent pertinent largement incompréhensible au commun des mortels, à part de très rares exceptions qui tournent alors joyeusement au littéraire.

    Explorer la mémoire pour y trouver raisons, expose aussi toutefois à errer dans ses intimes dédales où point de départ et lieu d'arrivée ne sont pas si distincts qu'on le voudrait. On revient sur ses névroses, on réinvestit ses peurs, que l'on transforme (travestit ?) - parfois même efficacement - en idées.
    Poser des signes sur une surface peut aider à approcher ses failles autant qu'à les tenir en respect, certes. A trouver un point de vue, à éloigner l'affect, à libérer le souvenir de son cuisant lien avec le présent.

    Ce que tentent aussi de récentes techniques comme l'hypnose ou l'EMDR*. Désactiver le souvenir, le rendre anodin, pure image invocable, sans pesanteur ni pouvoir autonome de résurrection invasive. Et cela sans passer par le détour du récit infini et trop souvent maîtrisé que l'on délivre sur le divan. Un raccourci, en somme. Dans le cas de l'EMDR, on provoque des allers-retours des globes oculaires, d'un côté à l'autre, comme si on lisait, comme si on écrivait ! Encore faut-il être dans un rythme et faut-il que l'oeil intérieur soit actif, que toute l'énergie mentale ne soit pas papillonnante et dirigée vers l'extérieur. On peut alors retrouver le souvenir tout en l'éloignant. Embrasser l'extériorité pour en jouir ne dispense pas de l'introspection. L'intentionnalité doit être bi-directionnelle et l'action doublée. En cela, l'écriture d'un "mémoire" peut être efficace.

     

    * Eye movement desensitization and reprocessing.


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    Trouver le bon objet Terre
    Incendie du massif des Maures. Image satellite.


    Les Yoga Sūtra distinguent plusieurs sortes d’objets. Il y a vastu, l’objet indifférent sur lequel nous ne projetons rien, celui que l’on ne « calcule » pas, celui qui fait arrière-plan flou, paysage global de notre activité. Il y a viṣaya, l’objet qui nous intéresse, que l’on peut désirer ou détester, en tout cas qui suscite, attire notre attention. Enfin, il y a artha, l’objet en soi digne d’intérêt pour nous, l’objet qui rentre dans le champ de notre rôle dans l’économie globale du monde ou dharma.

    Cette description des différentes qualités d’objets pour nous leur confère une capacité de suscitation, une affordance, comme on le dit maintenant. Je dirais même une sorte de température : froid, chaud, ni-chaud-ni-froid, en relation directe avec notre température (ou notre tempo) interne.

    Une récente lecture scientifique me semble en rapport avec cette vision de l’objet.
    L’auteur d’un article1 qui s’interroge sur l’unicité de notre planète, en lien avec l’apparition de la vie, met en exergue notre façon de nous pencher sur un objet. Ici la Terre elle-même, notre horizon d’humain. Il note que, pour échapper à l’erreur historique qui a été de considérer la Terre comme un objet central et unique dans l’univers puisque central et unique pour nous, pour ne pas paraître « chauvins », nous avons créé un autre biais dans la recherche : « s’il nous est difficile de nous rendre compte du fait que la Terre est particulière, c’est parce que l’essentiel de nos connaissances en géophysique et en climatologie a été acquis depuis ce monde spécifique. Notre compréhension de l’univers en est inévitablement biaisée (…). Nous avons ainsi cru, par exemple, que l’organisation de notre système solaire (planètes rocheuses près du soleil et gazeuses plus extérieures) était « le fait de processus universels et inévitables » alors qu’au contraire cette structure semble rare dans notre région de la galaxie où l’on trouve davantage de géantes gazeuses proches de leur étoile ». Un biais en remplace un autre. Revenons à la Terre.
    Il se peut donc aussi que notre configuration planétaire soit rare dans l’univers, voire extrêmement rare, ce qui pourrait entraîner que l’apparition de la vie le soit aussi.


    On échappe à un prisme, on tombe dans un autre. Les conditionnements sont multiples et différents selon les époques et transforment notre capacité à envisager la réalité. La Terre – et l’univers - resteront pour les humains qui s’en préoccupent un objet « chaud », un viṣaya que ses dimensions extrêmes ne réussissent pas à refroidir. Il est aussi un artha du dharma de tout humain, un maître-objet de sa capacité à exister qui paraît approprié à son devenir d’individu et d’espèce. C'est vrai pour le moment : tant que sa température issue de trop de projections, de trop d’appropriations, de trop de désirs et d’accaparements n’a pas trop surchauffé son statut d’objet chaud et ne l’a pas transmué en objet-fournaise, échappant au cycle constructif de la vie de l’homme pour en être un instrument destructeur.
    Là, il faudrait envisager un autre statut d’objet, non pas vraiment extérieur au Dharma général d’ailleurs, mais simplement inclus dans une logique où l’objet Terre disparaîtrait de la destinée proprement humaine pour persister seulement comme artha, objet adéquat, pour la vie en général, consacrant l’extranéation de l’espèce humaine, son rejet, le divorce radical d’avec son support, qui signerait peut-être sa disparition.
    Toutefois, on pourrait imaginer aussi, les catastrophes diverses aidant, que les hommes deviennent simplement rares et techniquement impuissants, donc non impactants, dépourvus de toute capacité d’action dans le cycle de l’objet Terre. Un vastu en somme, un objet négligeable, juste présent en fond de paysage pour le sujet Terre et ses vivants
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    1Notre planète est-elle unique ? Article de François Forget, planétologue, in La Recherche, n°564, l’origine du vivant, p.46-47.


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  • Immersion

     

    Ils sont tous d'accord (Freud, Bachelard and Co) pour rattacher l'expérience d'immersion à la foetalité, au lien à la mère.
    Quand, cet été, j'ai replongé après tant d'années dans l'étendue liquide, mi-frigorifiée mi-courbatue mais foncièrement heureuse, j'ai pensé très fort à mon père et à son désir avorté (par la force de sa mère !) d'être marin. Il m'est apparu que la mer éloigne de la mère et de l'épouse.
    Elle impose son miroir liquide agité du soubresaut des vagues comme une coupure. La coupure des vacances d'été et de la navigation de plaisance, celle des explorations pour le travail, la recherche et la guerre. Évasion pour une réalisation hors des tentacules maternels, renonçant au lien ombilical avec frénésie, délices ou par vocation.
    La réalité du 'sentiment océanique' après les illusions du bain amniotique.
    Je me suis sentie corps et esprit entiers, complets, en pleine et légitime possession de ce que je suis. Portée par l'anonymat et la profondeur de l'étendue liquide. Emmenée à être par le fond universel et neutre. Brahman comme l'invoquent les hindous ?
    Cette étendue grouille pourtant de tant d'autres êtres mais nothing personal, aucune intention vers moi. Tous dans la neutralité portante. Une suspension dans le fluide, qui pourrait aussi bien être l'espace ou le temps que des milliards de litres d'eau salée, arrête le déroulement habituel des événements du monde. La vague rumeur qui vient de la plage n'y peut rien.


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